Visiter directement le contenu

La RE 2020 sera t-elle à la hauteur des enjeux ?

La nouvelle réglementation environnementale 2020 est l'objet de nombreux débats et tractions à tel point quelle rentrera finalement en vigueur au 1er janvier 2022. Mais sera-t-elle à la hauteur des enjeux ?

Les matériaux premiers Illustration de matérieaux naturelles (pailles) à coté d'un coffre de mur prêt à être rempli.

Publié le

Introduction

Les débats politiques autour de la relation entre les activités humaines et le changement climatique ne sont pas récents, ils témoignent, depuis le XVe siècle de la transformation du rapport de l'homme avec son environnement. Face à la volonté de puissance de certains, une profonde conscience des impacts sur la santé humaine et planétaire a toujours existé, et ce sans les outils scientifiques et techniques actuels mais par des connaissances sensibles: pluies, températures, saisons. 1

Quelques siècles plus tard, ces questions se transforment en véritable course contre la montre compte tenu du défi systémique que représente la nécessité d'une baisse drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. De la promptitude des changements pour réduire notre empreinte environnementale découlera l'habitabilité de notre planète.

Climate change - A timeline
Climate change - A timeline - source semi-rad

Le sujet étant très vaste, on s'attachera ici à essayer de donner quelques ordres de grandeurs permettant d'appréhender la mesure du changement à esquisser dans le monde du bâtiment. L'idée étant davantage de connaître "grossièrement" ce que les chiffres expriment en fonction d'hypothèses plutôt que d'analyser les données dans une optique de "gouvernance par les nombres" si bien décrite par Alain Supiot.

Voici, par exemple des ordres de grandeurs de facteurs d'influence qui permettront à chacun de remettre en perspective la définition de notre ère géologique entre Anthropocène et Capitalocène (source: Thomas Piketty).

Entre 1800 et 2000, dans le monde:

  • La population: x 6
  • Le consommation énergétique: x 40
  • Le capital: x 134

Dans cet article on regardera donc :

  1. Quel budget carbone a t-on encore le droit de consommer pour rester dans les trajectoires des accords de Paris ?
  2. Quel est l'impact carbone moyen des bâtiments neufs actuels et quels sont les niveau visés dans le futur ?
  3. Sommes nous sur la bonne trajectoire ?

Problématique de comptabilité carbone

Avec la nouvelle RE 2020, les acteurs du bâtiments devront, quelque peu à la manière d'un estimatif financier, évaluer l'impact carbone du bâti neuf en réalisant une analyse de cycle de vie. Ils en déduiront une intensité carbone de leur projet exprimée en kg éq.CO2/m² qui permettra de labelliser le projet (C1 ou C2), en fonction de la destination (Maison individuelle, logements collectif, tertiaire...) et du seuil carbone (C1: 1350-1500; C2:800-980 kgéq.CO2/m² env).


Impact carbone du bâtiment
=
Surface totale
X
Empreinte carbone des produits et consommations [kgéq.CO2/m²]


Le problème est que cette approche, quand bien même elle peut permettre une baisse relative de l'intensité carbone des constructions neuves, n'est en aucun garante d'une baisse des émissions absolues du secteur de la construction. En d'autres termes, il suffit de construire de plus grandes surfaces et l'effet d'une amélioration de "l'efficience carbone du bâti" est nulle. On constate par ailleurs que la surface moyenne par personne est passé de 25m² en 1973 à 40m² en 2013 (+60%), la tendance n'est donc pas encourageante.2

On peut faire l'analogie avec l'effet rebond possible lors de l'isolation thermique, fonctionnant à facture constante, l'usager monte la température de consigne, les gains énergétiques apportées par une meilleure isolation sont dépensés en confort, le bilan est alors nul.

Il faut donc être vigilant et s'assurer que les ratios carbone définis dans la nouvelle réglementation environnementale nous permettent, conjointement à une baisse du rythme de bâtiments neufs, d'observer une baisse globale des émissions carbone du secteur.

Approche en budget carbone annuel

Il faut donc évaluer dans quelle mesure les critères de performances carbone défini par la nouvelle RE2020 sont en cohérence avec les différents scénarios définis dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) ou plus largement à l'échelle mondiale à travers les trajectoires définis par le GIEC. Pour ce faire, on utilisera l'approche en budget carbone restant345, sorte de quota limite restant d'émissions carbone à émettre à l'horizon 2050. Il existe bien évidemment des incertitudes liées à ces estimations.
La question devient donc:


Surfaces neuves construites chaque année
X
Empreinte carbone moyenne annuelle
=
Budget carbone annuel restant pour rester dans la trajectoire SNBC ?


Il paraît évident que le critère carbone (ou équivalent carbone) est loin de résumer à lui seul la question du réchauffement climatique mais il permet ici grâce à des ordres de grandeurs d'avoir une première approche de l'impact environnemental du bâtiment . De nombreux autres impacts néfastes ne sont pas toujours facilement quantifiables ou non pris en compte (épuisements des ressources, déchets, pollutions...)

Quelques chiffres

Monde - Budget carbone restant au début de l'année 2021

Probabilité de rester en dessous du scénario 1.5 °C [GtCO2éq.] 2.0 °C [GtCO2éq.]
50% 355 1275
66% 195 945

Émissions GES mondial en 2018: 55,3 Gt CO2. En conservant ce rythme d'émissions, le budget sera consommé environ en 4 - 7 ans de sursis pour le scénario 1.5°C et 17 - 23  ans pour le scénario 2°C si les émissions annuelles restent constantes.
A l'heure actuelle la hausse moyenne des températures moyenne est d'hors et déjà de 1,1 °C (période 1850/1900 - 2019). D'où la justification d'un contexte d'urgence lorsque l'on parle d'actions à mener. L’ensemble des incertitudes identifiées dans le rapport 1,5°C du GIEC pourraient augmenter ou réduire les budgets carbone décrits ci-dessus de plusieurs centaines de GtCO2.

France - Trois prochains budgets carbone de la stratégie SNBC révisée

Total 2018-2023 (MtCO2éq.) 2024-2028 (MtCO2éq.) 2029-2033 (MtCO2éq.)
Total (hors secteurs des terres - puits carbone) 422 359 300
Secteur du bâtiment (hors production d'énergie) 78 (~18 %) 60 (~17 %) 43 (~14%)

En 2018, les émissions nationales de la France sont estimées à 445 MtCO2éq, supérieur au budget visé dans la SNBC. A l'heure actuelle la hausse moyenne des températures moyenne est d'hors et déjà de 1,8 °C (période 1961-1900 - 2019).

Bâtiment - Où se cache le carbone ?

Niveaux carbone

On s'attachera ici seulement à évaluer la construction neuve. Les niveaux d'intensité carbone pour les travaux de réhabilitation n'étant pas encore définis, et pour cause, on se doute de la très grande hétérogénéité et complexité d'évaluation de l'impact environnemental de ceux-ci. D'autre part, les surfaces considérées pour le tertiaire correspondent à environ 60% du total (hors Habitat Communautaire, Santé Action Social, Sport Loisir Culture, Transport).

On reprendra les résultats de l'expérimentation E+C- 6, on constate dans cette échantillon de 487 bâtiments la classification suivante:

Niveau Carbone Nombre Part [%]
C0 161 33 %
C1 272 56 %
C2 51 11 %
Résultats de l'expérimentation E+/C- : positionnement des bâtiments par rapport au niveau
Résultats expérimentation E+/C- : Niveaux E+/C- des bâtiments - source:CSTB

Plus d'informations concernant l'impact des différents lots peuvent être trouvés dans les résultats de l'expérimentation ou via d'autres sources. 7

Trajectoire

L'impact environnemental du secteur du bâtiment représente 20 à 33% des émissions nationales selon l'assiette choisie. Globalement les sources d'émissions de GES dans le bâtiment sont les consommations d'énergie à l'usage (~26%) et les produits de construction/rénovation (PCE) (~5%). Soit un répartition d'environ 80% / 20%.

Voici la trajectoire carbone du secteur du bâtiment telle qu'imaginée par la Stratégie Nationale Bas Carbone 2020. Un facteur 2 de 2015 à 2030 puis un facteur 9 de 2030 à 2050, soit un facteur 18 de 2015 à 205. Autant dire que qu'on va y arriver à l'aise, les doigts dans le nez. Quand l'on pense qu'un découplage absolu émissions carbone/PIB n'est pas démontré8, certains doivent être bien pâles à la vue de ce graphique publiée par le Ministère de la Transition Écologique. On retiendra 90/45/5 comme ordres de grandeurs nécessaires pour coller avec la feuille de route. A noter qu'en parallèle de cette réduction drastique des émissions, la stratégie est d'augmenter graduellement le stockage du carbone, un effort continu et de long terme (de l'ordre de 10%).
Pour en savoir plus sur les scénarios prospectifs, on consultera les travaux du Ministère de la Transition Écologique 9

Trajectoire Stratégie Nationale Bas Carbone
Trajectoire de la Stratégie Nationale Bas Carbone - Source: Carbone 4 IFPEB

Hypothèses d'évolutions pour le calcul

Budgets carbone

On connait donc le budget des émissions GES à respecter selon 3 horizons de temps. L'hypothèse prise est que la répartition des sources va avoir tendance à se réduire jusqu'à s'inverser pour atteindre une neutralité carbone des consommations énergétiques. C'est beau.

On a donc l'évolution dans le temps de l'empreinte carbone suivante :

2020 (80/20) - [MtCO2 éq.] 2035 (70/30) [MtCO2 éq.] 2050 (0/100) [MtCO2 éq.]
EGES conso d'énergie 75,5 31,5 0
EGES PCE 14,5 13,5 5
Total 90 45 5

**PCE: Produits de construction et équipements

Surfaces annuellement bétonnées construites

On connaît donc l'empreinte bâtiment totale envisagée, les niveaux d'intensité carbone visés par la nouvelle RE 2020, il nous manque des chiffres concernant les surfaces annuellement construites.
Pour se faire on s'appuiera sur le travail réalisé par l'ADEME et le CSTB: "Prospectives 2035 et 2050 de consommation de matériaux pour la construction et la rénovation énergétique BBC)10. Un travail riche en données, pouvant certainement alimenter les arbitrages au sein des filières et des modèles réalisés dans le cadre de l'élaboration de la RE 2020.
On en tire par exemple les surfaces construites selon le scénario AME de la SNBC (" avec mesures existantes"):

Typologie 2015 [m²] 2035 [m²] 2050 [m²]
Logements 32 128 29 945 19 828
Tertiaire 6 815 4 188 4 449
Total 38 943 34 133 24 277
Réduction par rapport à 2015 / -12 % -38 %

Tertiaire: Environ 60% du total: Bureaux, Enseignement, Grande distrib., Hôtels. 10756m²

Pour calculer l'impact carbone total des produits de constructions et équipements dans les différents scénarios qui suivent, on s'appuiera sur les seuils testés lors de l'expérimentation E+C-11. A ce jour ces derniers (ainsi que leur diminution dans le temps) n'ont toujours pas été publiées au journal officiel1213.

Scénario Business as usual - progrès marginaux 

On reprend les chiffres des surfaces construites présenté précédemment exprimant une baisse tendancielle de 12% en 2035 et 30% 2050. Les surfaces construites seront en moyennes considérées à un niveau équivalent C1 (750 kg éqCO2 logements; 1050 tertiaire pourtant bien des bâtiments construits aujourd'hui sont "C0"...). Ceci exprime des efforts sans commune mesure avec les dernières années malheureusement pas encore à la hauteur des enjeux.. C'est pourquoi ce scénario est nommé "BAU: Buisness As Usual".

2015 - C1 [MtCO2 éq.] 2035 - C1 [MtCO2 éq.] 2050 - C2 [MtCO2 éq.]
Logements 24 22 14
Tertiaire 7 4 4
Total (bât neuf.) 31 27 18
Objectifs budget SNBC (neuf + réno.) 15 14 5
Dépassement (hors réno.) 215% 200% 360%
Graphe du Scénario "Buisness as usual" - Légers Dépassements
Scénario "Buisness as usual" - Légers dépassements

Scénario Optimiste

En plus de la baisse tendancielle du volume construit, on table sur une réduction constante et importante de l'intensité carbone du bâti neuf: C1 en 2015, C2 en 2035, C3=(2/3) x C2 en 2050.

2015 - C1 - [Mt CO2] 2035 - C2 - [Mt CO2] 2050 - C3 - [Mt CO2]
Logements 24 21 7
Tertiaire 7 4 2
Total (bât neuf.) 31 25 9
Objectifs budget SNBC (neuf + réno.) 15 14 5
Dépassement (hors réno.) 215% 180% 180%
Graphe du Scénario "Optimiste" - Légers dépassements aussi
Scénario "Optimiste" - Légers dépassements aussi

Quelles hypothèses pour un scénario conforme à la SNBC ?

Comme on a pu le constater précédemment, la baisse des surfaces et ratio d'émissions carbone du bâti ne sont pas suffisant pour atteindre les objectifs fixés. On pourra alors formuler via l'outil ci-dessous un scénario possible en tablant sur l'hypothèse que les réductions annuelles peuvent être comprises entre 0 et 10%, ce qui serait un progrès immense. Les barres oranges correspondent à la trajectoire lissée qu'il faut respecter pour rester en dessous des seuils fixés par la SNBC.

lien vers diagramme interactif
grid.is/@pierre.lagrandmaison/carbone-dans-la-construction-m_02cfnoQEK94jMrgLMo8w

En s'arrêtant sur un scénario répondant aux attentes, par exemple le couple de réduction en rythme annuel (3,0 %;3,0 %), on peut se prêter à l'exercice intellectuel d'imaginer (si possible) le bâtiment de 2035, autour de 570 kgéq.CO2/m² ou en 2050, 350kgéq.CO2/m². L'adoption d'une telle trajectoire impliquerai une baisse des seuil carbone de 40% à l'horizon 2035 et 70% à l'horizon 2050, ce qui semble très peu probable, le grand levier est donc le taux de réduction des surfaces annuelles neuves construites.

Quels enseignements ?

Objectifs ambitieux et moyen limités

Pour résumer et sans surprise, on constate donc qu'il va être difficile de concilier le budget carbone restant dans le secteur du bâtiment avec le rythme prévisionnel annuel de construction neuve à l'horizon 2035 & 2050. En ayant sorti du calcul les émissions carbone des émissions de rénovation des bâtiments ainsi qu'une partie des bâtiments tertiaire (40%) tout en considérant un scénario "optimiste", on dépasse allègrement les objectifs à l'horizon 2050 (~x 2,5). On pourrait émettre l'hypothèse dans le meilleur des cas que le stockage carbone viendra compenser les émissions non considérées dans ce travail, ce qui est encore une fois fort optimiste.

La nécessité d'agir dès à présent est donc cruciale, comme on peut le constater, même avec de fortes réduction de l'ordre de 3,0% par an on peut encore tout juste respecter l'échéance à l'horizon 2035.

On notera également que l'indicateur carbone dans ce genre de trajectoire implique d'atteindre des seuils carbone de l'ordre de 400 à 500 kg éq.CO2/m² soit plutôt l'équivalent d'un bâtiment réhabilité actuel14. Le seul moyen d'arriver à ce niveau de performance carbone est donc dans un premier temps de ne pas construire tout court ou de réhabiliter (économie moyenne de l'ordre de 300 kgeqCO2/m²). L'avenir est donc à la sieste ou à la réhabilitation.

Ensuite, il est plus que nécessaire de favoriser l'emploi de matériaux bio et géo-sourcés, stockant du carbone. Les matériaux premiers dans lesquels une faible énergie est nécessaire à leur usage dans leur cycle de vie sont les seuls à pouvoir nous permettre de suivre une voie respectable.

La nouvelle réglementation est une bonne nouvelle mais il faut être davantage ambitieux, valoriser au maximum le patrimoine déjà existant

Des gardes fous nécessaires

  • L'analyse de cycle de vie dynamique a le grand intérêt de pouvoir coupler un horizon temporel au calcul carbone. On traitera de ce sujet dans un prochain article.
  • Pour favoriser le respect des seuils d'émissions fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone, il serait opportun de définir des plafonds d'émission carbone au-delà desquels il n'est plus possible de construire. Le principe est de fixer des limites d’émission par m² construits à ne pas dépasser sur l’ensemble de la durée de vie du bâtiment (carbone émis en phase de construction, d’exploitation et de déconstruction).
  • La mise en place d’un indicateur précisant la quantité de carbone stocké dans le bâtiment assortie de niveaux à atteindre. Un bâtiment ne doit plus être construit sans stocker un minimum de carbone.
  • Pour pouvoir réduire de manière sensible les surfaces neuves construites, il faut intensifier les usages, réfléchir sur nos besoins réels et se poser la question d'un seuil minimum de confort acceptable.

Bibliographie